Michel Croz: homme de coeur et guide fidèle.
Le
Cervin n'est pas une montagne Française, mais l'homme qui a permis la conquète de cette
cime extraordinaire, est un guide de la haute vallée de l'Arve: Michel Auguste Croz.
Après le centenaire de la première ascension du"pic le plus inaccessible des
Alpes", selon l'expression d'Edouard Whymper, il est juste de rappeler qui fut
Michel-Auguste Croz, d'autant plus qu'il a été singulièrement oublié.
"Michel Croz ayant pris part à leur expédition dans le
Dauphiné, je pensai naturellement à lui pour guide" écrit Whymper. M Mathews,
auquel je demandai des renseignements sur son compte, me répondit que c'était un
grand"caractère" et conclut en me disant:"il n'est heureux que quand il se
sent à plus de 3000m d'altitude".
"Je sais maintenant ce que voulait dire mon ami. Plus Croz pouvait déployer toutes
ses facultés, plus il était heureux. Quand il s'élevait au-dessus de la foule des
hommes ordinaires, dans les circonstances qui exigeaient l'emploi de sa force prodigieuse
et de la connaissance incomparable qu'il avait des neiges et des glaces,alors seulement on
pouvait dire que Michel Croz se sentait complètement et réellement heureux.
"De tous les guides avec lesquels j'ai voyagé,Michel Croz est celui que j'ai
préféré. Il faisait son devoir de tout coeur. Nul besoin de le presser ou de lui
répéter deux fois le même ordre. Il suffisait de lui dire ce qu'il fallait faire,
comment il fallait le faire, ce qu'on lui avait demandé était fait si cela était
possible. De tels hommes ne sont pas communs, et, quand on les rencontre, on les apprécie
à leur juste valeur. Michel n'avait pas une grande réputation, mais ceux qui le
connaissaient revenaient toujours à lui. L'inscription placée sur sa tombe rappelle avec
vérité qu'il "était aimé de ces camarades, estimé des voyageurs".
Michel Croz était né le 22 avril 1830, au village du Tour, en
haut de la vallée de Chamonix. Les trente premières années de sa vie se déroulèrent
sans éclat. Il fait le porteur, parfois le guide. Il vit avec son frère Jean-Baptiste,
ses deux soeurs et d'autres parents de la famille. A la montagne il désire consacrer sa
vie; il ne se marie pas. Il semble qu'il attend sa chance de montagnard. Elle vient en
1859, quand au milieu de la saison, William Mathews l'engage pour faire l'ascension du
Mont Blanc.
1860 marque le début de la vrai carrière de Michel Croz. Pendant 5 ans, il va
accompagner lers meilleurs amateurs de l'époque, dans les plus belles courses, et souvent
dans les plus belles premières. D'abord avec Mathews, Bonney et Hawkins, puis avec
Tuckett, Moore, Adams-Reilly et surtout Whymper, avec qui il va passer les meilleurs
moments de sa courte vie.
En 1861, il fait avec Mathews la première ascension du mont Viso. En 1862, il réussit la
première traversée du col des Ecrins, du coldu Sélé et du col du glacier blanc avec
Tuckett, Peter Perren et Bartoloméo Peyrotte. En 1863, il gravit les Grandes Rousses avec
Mathews, T.g. Bonney et son frère Jean-Baptiste Croz. Enfin, l'année suivante, il
réussit un nombre important de grandes premières: la traversée de la brèche de la
Meije, l'ascension de la Bare des Ecrins, la traversée du col de la Pilatte, avec
Whymper, Horace Walker, A.W.Moore et Christian Almer.
Incapable de jalousie, Croz éprouve un réel plaisir à travailler avec le grand guide oberlandais." Réunir
Croz et Almer était un vrai coup de maitre, déclare Whymper. Tous deux étaient dans la
force de l'age, doués d'une force et d'une activité bien au dessus de la moyenne
ordinaire; leur courage et leurexpérince étaient également incomparables. Le caractère
d'almer était de ceux que rien ne peut rebuter; intrépide mais sûr, on le trouvait
toujours plein de patience et d'obligeance. Ce qui lui manquait comme vivacité, comme
élan, Croz, qui à son tour était modéré par Almer, le possédait. Il est agréable de
se rappeler avec quel touchant accord ils s'entendaient ensemble,et comment chacun d'eux
venait à son tour nous confier qu'ils se plaisait si bien avec l'autre, parcequ'il
travaillait si bien".
"Sous le sommet des Ecrins, Almer était en avant de quelques
mètres; avec la modestie qui le caractérise, il hésita à escalader la pointe la plus
élevée, et se retira pour nous laisser passer à sa place. Un cri unanime désigna Croz,
à qui nous devions la plus grande part du succès, mais Croz déclina cet honneur et nous
nous avançames tous ensemble vers le sommet".
Descendant le col de la Pilatte. Whymper écrit encore:"Je ne
sauraisterminer ce chapitre sans payer un juste tribut d'admiration à l'habileté avec
laquelle Croz sut nous guider à travers un épais brouillard jusqu'au bas du glacier de
la Pilatte. Ni dans les Alpes, ni dans nul autre pays, il n'a probablement trouvé son
maitre comme force et adresse".
Dans la même année, encore plus tôt dans la saison, Croz
assisté de Michel Payot, conduit Whymper et Adams Reilly au col de Ttriolet le 8 juillet,
au mont Dolent le 9,à l'aiguille de Trélatête le 12 et l'aiguille d'Argentière le 15;
toutes des premières ascensions. Enfin le 18 juillet, Croz et Whymper qui, à Zinal, ont
retrouvé Christian Almer et A.W. Moore, vont réussir dans des conditions très dures, la
première traversée du col de Moming. Whymper écrit:"Croz déploya le courage le
plus admirable pour échaper à l'effrayant péril qui nous menaçait; pas un instant il
ne détourna ni à droite ni à gauche son visage penché vers le travail qu'il
exécutait". Plus loin, lorsqu'ils arrivent au col, une immense corniche,"
semblable à une vague que le froid eût gelésur l'oceéan au moment même où elle
retombait" surplombe le versant Zermattois.
"Solidement tenu par ses trois compagnons demeurés sur le versant qui regarde le
mont Zinal,poursuivit Whimper, Croz attaqua cette corniche à violents coups de hache, et
finit par l'abattre jusqu'à sa jonction avec la glace solide, puis, sautant hardiment
au-dessous du col, il nous cria de le suivre.
"Nous étions bien heureux d'avoir un pareil homme pour chef d'expédition. Avec un
guide moins hardi et moins habile, nous aurions pu hésiter à entreprendre cette descente
au milieu d'un épais brouillard. Croz lui-même aurait eu grand raison de s'arrêter,
s'il eût été moins splendidement robuste. Il nous disait par ses actes:" là où
il y a de la neige ferme, on peut toujours marcher; là où il y a de la glace, on peut
toujours se frayer un chemin en taillant des pas: c'est une simple question de force;
cette force je la possède donc vous n'avez qu'une chose à faire: me suivre". On
peux dire qu'il n'épargna pas sa peine; s'il eût accompli sur un théatre les exploits
dont nous fûmes tèmoins ce jour là, il eût fait crouler la salle sous les
applaudissements".
A sept heures vingt du soir, la caravane arrive à Zermatt, et va à l'hotel du Mont-Rose,
lieu habituel de rendez-vous des alpinistes et des guides."Je quittai cette agréable
compagnie, écrit Whymper, pour aller chercher mes lettres à la poste, hélas, elles
contenaient des nouvelles désastreuses. On me rappelait brusquement à Londres.
L'année suivante, le 15 juin, Whymper et Croz se retrouvent à tourtemagne dans le
Valais. Ensemble, ils font différentes courses, dont la Dent Blanche, une tentative du
Cervin, la première ascension des Grandes Jorasses, la première traversée du col Dolent
dont la descente par le versant nord est un explit extraordinaire. Malheureusement, un
malentendu va séparer l'équipe.

"Michel Croz nous
quitta le lendemain, écrit Whymper. Le touriste qui l'avait retenu si longtemps à
l'avance n'était pas encore arrivé à Chamonix, mais Croz se croyait engagé d'honneur
à l'attendre".
L'année précédente, avant de rentrer en Angleterre, Whymper avait retenu Croz pour
l'été suivant."Quand je lui écrivis au mois d'avril pour fixer les dates de son
engagement,j'apris que ,se croyant libre( puisque je ne lui avais pas écrit plus tôt ) ,
il s'était engagé avec un certain M.B...à partir du 27 juin. Je lui rappelai vainement
sa promesse; il crut qu'il ne pouvait honorablement se dégager. Ces lettres lui faisaient
honneur; l'extrait ci-joint de la dernière qu'il m'écrivitest un intéressant souvenir
de cet homme aussi honnête que courageux:"Enfin, Monsieur, je regrette beaucoup
d'être engagé avec votre compatriote et de ne pouvoir vous accompagner dans vos
requêtes, mais dès qu'on a donné sa parole, on doit la tenir et être homme. Ansi,
prenez patience pour cette campagne et espèrons que plus tard, nous nous
retrouverons".
Whymper ,conduis par Christian Almer, qui deviens son guide-chef, réussi le 29 juin la
première ascension de l'Aiguille Verte, par le couloir qui, depuis porte son nom, puis
par le col de Talèfre il rejoint Courmayeur et de là, le col de val Cornière, arrive au
Breuil, dans l'intention de tenter une nouvelle fois le Cervin. Carrel n'est libre que
trois jours et il fait mauvais temps; ensuite il est engagé par Felice Giordano.
Une fois de plus l'Anglais se retrouve seul, lorsqu'arrivent au Breuil Lord Francis
Douglas et le guide Taugwalder. Whymper se joint à eux pour traverser le col du Théodule
et aller à Zermztt, dans le but d'essayer le Cervin par l'arète Suisse. Or en arrivant
à l'hotel du Mont Rose, la première personne que Whymper rencontre n'est autr que Michel
Croz. Que fait-il là? Son clint anglais,M.B., arrivé malade à Chamonix , est rentré
immédiatement à Londres. Croz, devenu disponible, a été aussitôt engagé par le
Révérend Charles Hudson, et tous deux viennent d'arriver à Zermatt dans l'intention de
faire l'ascension du Cervin.
La présence de Croz est l'argument décisif pour que Whymper accepte de partager la
victoire. Eacceptant Hudson, et son ami Hadow, jeune débutant inexpérimenté et mal
équipé qui sera involontairement une des causes de la catastrophe, Whymper récupérait
Croz, personne clef de la conquête.Le lendemain, le 14 juillet 1865, une cordée bien
lourde, une cordée de sept, attaque "la prestigieuse montagne"."Ainsi Croz
et moi redevinmes une fois de plus compagnons de route", écrit Whymper. Au millieu
de la bagarre pour atteindre la cime, il y a une grande tendresse dans ces paroles. Michel
Croz est le premier de cordée, derrière lui il y a Whymper puis les autres Hudson,
Douglas,Hadow et les deux Taugwalder. Croz réussit à franchir tous les
obstacles-aujourd'hui équipés de cordes fixes- et bientôt la longue caravane atteint le
sommet."A une heure quarante de l'après midi, écrit whymper, le monde était à nos
pieds. L'invincible Cervin était conquis".
"Après une heure de vie bien glorieuse" poursuit Whymper, ce fut la descente et
presque tout de suite la catastrophe au cours de laquelle Michel Croz trouva la mort.Ainsi
s'achevait la carrière du plus grand guide du moment. Il grimpait bien, mais dabord il
était une présence: par lui, à travers lui, toutes les courses devenaient possibles. Il
aimait la montagne. Il aimait son métier.

Avant de quiter Zermatt, Whymper rédigea lui-même l'épitaphe de
la tombe de Croz.Epitaphe qui résume les meilleurs qualités d'un guide, et dabord d'un
homme:"A la mémoire de Michel Auguste Croz, né au Tour, vallée de Chamonix. En
témoignage de regret. La perte d'un homme brave et dévoué, aimé de ces compagnos,
estimé des voyageurs. Il périt non loin d'ici en homme de coeur et guide fidèle".
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